Vers un meilleur décompte du temps de travail des praticiens hospitaliers
Clémence ZACHARIE
Maître de conférences, IAE Gustave Eiffel-UPEC
La question de la gestion du temps de travail semble s'être accentuée en même temps que les suites de la crise COVID confirme l'hémorragie de praticiens hospitaliers au point que le juge administratif s'en est emparée, sans qu'il soit cependant possible de garantir l'efficacité de sa démarche.
Si nous avons vu que le principe même de la titularisation ne participait pas de l'établissement de l'attractivité de l'hôpital [1] , la réalité des conditions d'exercice, et notamment celle du volume horaire du travail effectif, participe du désamour que connait le métier. Bien qu'encadrée, la durée du temps de travail a connu depuis une trentaine d'année un allongement que l'introduction de réformes successives, et notamment la mise en oeuvre des 35 heures, n'a en aucun cas remis en question. D'une véritable stratégie de l'allongement, destinée à maitriser l'accroissement que constitue la masse financière des traitements, on est en effet progressivement passé à la gestion empirique du manque de personnel que les deux années qui viennent de s'écouler n'ont finalement que rendu plus visible.
La question des 35 heures à l'hôpital est en effet rapidement apparue comme un point de crispation idéologique : si la mise en oeuvre de la loi Aubry n'était pas envisageable de prime abord comme particulièrement adaptée au cas des structures de soin, elle n'a dans les faits pas eu d'impact sur la réalité du temps de travail des équipes. Dès 2007, un rapport adressé au ministère de la santé a en effet mis en avant le fait que la réforme n'était pas appliquée de façon uniforme et harmonieuse sur le territoire, mais était plutôt en fonction des accords locaux engageant çà et là directions et syndicats. Concrètement, plus de 40% des hôpitaux avaient maintenu les horaires antérieurs. Surtout, il apparait clairement que quand bien même le principe d'une mise en oeuvre d'une réforme était acté, les RTT et les comptes épargne-temps (CET) n'ont pour ainsi dire jamais été purgés : le manque de personnel n'a fait que s'accentuer avec la crise du Covid et surtout ses suites que traversent actuellement la plupart des hôpitaux.
Il n'est cependant pas certains que des solutions n'apparaissent pas et c'est probablement à travers la réglementation que celles-ci vont émerger. Le code de la santé publique est relativement clair sur ces questions puisque les articles R. 6152-26 et R. 6152-27 du code de la santé publique posent la règle selon laquelle le service hebdomadaire des praticiens hospitaliers est arrêté à dix demi-journées lorsqu'ils exercent à temps plein, sans que leur durée de travail ne puisse excéder quarante-huit heures par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois.
Les II et III de l'article R. 6153-2 du code arrêtent de la même façon les obligations de service hebdomadaires des internes à dix demi-journées, dont huit demi-journées de stage et une demi-journée de temps de formation hors stage qui ne peuvent, en vertu de l'article R. 6153-2-1, excéder quarante-huit heures par période de sept jours. Celles-ci sont calculées en moyenne sur le trimestre ainsi qu'une demi-journée de temps personnel de consolidation des connaissances et des compétences, qui n'est pas décomptée comme du temps de travail effectif. Le calcul de ce volume horaire tient donc compte du service de nuit, du service du samedi après-midi et de celui du dimanche et des jours fériés, nécessairement inclus dans les pratiques, dont l'unité de mesure est la demi-journée. Mais quoiqu'il en soit, la pratique ne suit pas scrupuleusement, loin s'en faut, le cadre défini par le Code. Ce que le Code a défini semble devoir être achevé par le juge. Comme pour de nombreuses autres professions amenées à prendre en charge des missions de service public répondant au principe de continuité (les pompiers notamment), le juge, et en tout premier lieu le juge européen est intervenu pour préciser les obligations des employeurs publics. En application de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, la CJUE, par une décision en date du 14 mai 2019, Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO) contre Deutsche Bank SAE (C-55/18), estime devoir opposer « aux employeurs l'obligation d'établir un système [objectif, fiable et accessible] permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur » . La demande que ne soit établi un tel système a très rapidement vu son prolongement dans la jurisprudence nationale et c'est fort naturellement que le Conseil d'Etat, répondant à la revendication de certains syndicats de voir arrêtés des décomptes horaires journaliers, mais aussi la définition de ce que l'on définit comme des demies journées de travail, unité de calcul établie par le Code de la santé publique. Répondant clairement à cette requête, la Conseil a alors fait de l'établissement d'un décompte journalier fiable et objectif l'élément essentiel 1et contraignant de la gestion du temps de travail qui vient utilement compléter le tableau prévisionnel de service devant nécessaire être établi par l'encadrement. En ce sens, la jurisprudence du 22 juin dernier (CE 22 juin 2022, Syndicat des jeunes médecins , n°446917 [2] ) , puisque c'est elle dont il s'agit, se veut comme imposant la garantie du respect du plafond hebdomadaire européen. Preuve en est s'il en fallait l'affirmation terminant le communiqué en ligne du Conseil d'Etat selon laquelle, en évoquant leur propre décision, « les praticiens hospitaliers et les internes pourront s'en prévaloir vis-à-vis de l'établissement qui les emploie ». La volonté de la Haute juridiction semble suivie d'effet. Et elle l'est si l'on considère les dernières propositions de l'ANAP qui, au début du mois de septembre, réagissant rapidement aux injonctions du Conseil d'Etat, établissait de nouveaux kits de temps de travail, dédiés à l'organisation du temps de travail dont la fiche 7 était présentée comme destinée à permettre le décompte du temps de travail. Si la démarche est vertueuse et encourageante, reste à savoir si la menace contentieuse clairement affichée par le Conseil d'Etat suffira à contrer la conjonction d'une pénurie de personnel croissante et de l'obligation de permanence des soins.
Notes :
[1] Clémence ZACHARIE « Les décrets relatifs à l'évolution du statut des praticiens hospitaliers sont-ils allés assez loin ? » Santé RH n° 148, Avril 2022
[2] Hugo-Bernard POUILLAUDE « Décompte du temps de travail des praticiens : de l'âge classique aux temps modernes. Sur les arrêts du Conseil d'Etat du 22 juin 2022 » Finances Hospitalières n° 171 - Septembre 2022