Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITO

La pyramide de Maslow : une vieille dame pleine de vitalité ?

 

Jérôme LARTIGAU

Maître de conférences en sciences de gestion - CNAM

La fameuse pyramide de Maslow - que tout manager qui se respecte connaît bien - a aujourd'hui 80 ans. Théorisée en 1943 dans son ouvrage « The theory of human motivation », le modèle de Maslow se proposait d'établir une théorie générale de la motivation basée sur la satisfaction des besoins, elle-même basée sur une hiérarchie de ces besoins, des plus élémentaires aux plus élevés. Selon Maslow, les besoins supérieurs tels que le besoin d'accomplissement de soi ne pouvaient être atteints que si les besoins inférieurs tels que les besoins physiologiques et les besoins de sécurité étaient satisfaits. Dans le champ professionnel, la rémunération et les conditions de travail peuvent être classées dans ces deux catégories.

Ainsi, selon cette approche, une rémunération ou des conditions de travail considérées comme non satisfaisantes ne pouvaient qu'être un obstacle à un véritable épanouissement de l'individu au travail. Mais alors comment expliquer que certaines catégories de métiers ou de professions à faible niveau de rémunération et connaissant des conditions de travail difficiles pouvaient engendrer malgré tout un véritable épanouissement personnel et professionnel ? Si la loi de Maslow avait dû s'appliquer à la lettre, les cohortes d'infirmier(e)s, d'aides-soignant(e)s voire de médecins hospitaliers qui ont oeuvré sans relâche dans les établissements de santé (sans compter bien sûr les enseignant(e)s, assistants socio-éducatifs, etc.) n'auraient jamais pu trouver de sources de motivation à leur travail !

C'est là que survient la théorie des deux facteurs de Herzberg (1959). Selon cette théorie, la motivation de chaque individu dépend de deux variables : les facteurs d'hygiène, extérieurs à l'individu et qui renvoient aux besoins primaires de chacun, et les facteurs de motivation, qui correspondent à des aspirations internes, d'ordre psychologique. Ainsi, ce n'est pas parce qu'un travail est bien rémunéré et sécurisant qu'il entraîne la motivation chez l'individu ; il faut que ce travail soit ressenti comme intéressant, stimulant et donc source d'épanouissement personnel. Pendant des décennies, cette théorie a pu ainsi justifier le maintien de l'attractivité des métiers du cure et du care, malgré des conditions de travail parfois difficiles et des rémunérations modiques au regard de l'engagement consenti par chacun.

Or à quoi assiste-t-on aujourd'hui ? A la désaffection des métiers de la prise en charge (au sens large) et à une crise de l'engagement. Cette tendance lourde, qui a probablement été amplifiée par la crise Covid-19, s'accompagne d'une vision plus pragmatique du travail par les salariés comme l'indique une étude de Malakoff Humanis de mars 2023 ; de plus, comme l'indique cette étude, « depuis l'an dernier est venu s'ajouter un nouveau contexte : celui de l'inflation, et de la guerre en Ukraine qui créent de l'anxiété, accentuent les difficultés personnelles et renforcent le besoin de protection ».

Face aux difficultés de la vie courante, des stagnations des rémunérations d'autant plus durement ressenties en contexte inflationniste, et bien sûr d'un environnement politique, géopolitique, économique, social et naturel de plus en plus instable et anxiogène, une grande majorité de salariés (y compris du secteur de la santé) privilégie désormais - notamment dans les grandes entreprises - les avantages matériels (rémunération, protection sociale, conditions de travail, etc.).

En définitive, bien qu'ancienne dans l'histoire du management et malgré les critiques dont elle a pu faire l'objet, la théorie de Maslow trouverait-elle une nouvelle vigueur en ces temps troublés ?

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