Nous ressentons de nos jours deux dissonances, individuelle et collective. D'un côté, le récit moderne ordonne à l'individu que pour vivre pleinement sa vie, celui-ci doit être original et authentique. Pourtant, les parcours de vie se ressemblent de plus en plus, les goûts, les loisirs et les opinions se standardisent. La pratique soignante à l'hôpital, le travail technique ou administratif, sont règlementés. Ce qui entraine une recherche excessive et vaine pour se distinguer encore plus de ses semblables. On s'agace facilement de ce qui nous ressemble. On entend parler de liberté à mesure qu'augmentent les règles. D'un autre côté, ce phénomène se redouble avec une nouvelle lubie managériale : celle d'être ou de suivre un leader. Quelqu'un d'exemplaire. Mais voilà le hic : désormais le management horizontal propose, sur le modèle de la démocratie, que chacun, quelle que soit sa position hiérarchique et son métier, puisse prendre part aux projets ou décisions qui le concernent. Bref : on entend parler de leadership ou d'exemplarité à mesure que se déploie le management participatif de type collaboratif. Ces phénomènes sont-ils contradictoires ? En vérité, nous sommes tous traversés par cette tension : « L'homme ne se sent pas achevé dans cette vie d'en bas. Il porte en lui, pour ainsi dire, un exemplaire mystérieux du monde antérieur et ultérieur, du monde parfait, auquel il compare sans cesse et comme malgré lui le monde imparfait »^[1]. Il y aura toujours cette ambivalence entre le désir paisible de l'égalité, et l'admiration profonde pour des figures singulières. Que nous cherchions à incarner ces personnes exemplaires, ou que nous soyons inspirés par elles. La complexité de faire émerger des personnes originales au sein de collectif de travail réside en ceci : il faut garder à l'esprit que le leadership, avatar New Age du charisme, n'est pas donné à tout le monde. Malgré le discours des organismes de formation. L'enjeu pour les managers est d'identifier les personnes capables d'inspirer des collectifs qui resteront toujours méfiants. L'exemplarité doit trouver sa source dans les valeurs de l'établissement. Et ne pourra souffrir d'aucunes exceptions. Voilà pourquoi, il n'est pas à la portée de tous. Et qu'il n'est que provisoire. L'exemplarité est une tension exigeante, et un investissement personnel trop important pour en faire sa carrière. Dans une équipe, le leader n'est pas original pour lui-même, ce qui le distingue de l'égoïsme contemporain. Ce n'est pas le leader conquérant, arrogant, mais plutôt humble et déterminé. Il doit être désintéressé. Finalement, ça existe une personne singulière qui ne se démarque pas pour son intérêt propre mais uniquement pour embarquer les autres sans les dominer? Peut-être qu'un leader permanent, qu'un ou une responsable exemplaire, possède une disposition particulière qui ne relève plus de la simple compétence. On parle alors de dispositions subjectives, de personnalité, de caractère.

Notes :

[1] V.HUGO, Napoléon le Petit, 1852, p.169, cité par le Trésor de la langue française, à l'article «exemplaire».