Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITORIAL

La stratégie mondiale pour la santé numérique : bilan et perspectives pour notre stratégie nationale de santé

 

Sandra BERTEZENE

Professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers

La stratégie mondiale pour la santé numérique 2020-2025, portée par l'OMS, arrive à son terme. Quel bilan la France peut-elle dresser de sa contribution ? Outre le déploiement du Health data hub, de nombreux changements ont été opérés depuis la pandémie, à la fois en termes d'usages (les confinements ayant accéléré le déploiement d'outils variés) et en termes règlementaires (Ségur, doctrine du numérique, publications de la HAS et de l'ANAP, etc.). Les efforts ont été considérables et les progrès énormes au sein des établissements. Des défis restent néanmoins à relever, particulièrement en matière de management des ressources humaines. Même si les recherches de Davenport et Kerby[1] n'ont pas été conduites dans le secteur de la santé, elles proposent cinq approches pour valoriser les compétences et les qualités humaines des professionnels, souvent à la recherche d'employabilité et de sens au travail :

Valoriser les connaissances tacites que ne connaissent pas les outils du numérique (approche parallèle), comme la patience, la bienveillance que l'on peut avoir à l'égard d'une personne malade ou dépendante. Dans ce cas, les politiques de formation conduisent les professionnels à cultiver et enrichir leurs compétences relationnelles grâce aux mises en situation, simulations, échanges de bonnes pratiques entre pairs, etc. ;

Développer une vision systémique de l'environnement (approche ascendante) afin de prendre les décisions appropriées. Les outils de la e-santé ne peuvent pas reproduire la complexité de notre monde, fait d'une multitude de systèmes, eux-mêmes composés d'une multitude de composants hétérogènes dont il est impossible de prévoir les actions et boucles de rétroactions. Les professionnels ont intérêt à cultiver cette vision systémique, grâce à une veille stratégique et à la formation tout au long de la vie ;

Participer à l'élaboration de la prochaine génération d'outils de la e-santé (approche anticipatoire) afin d'identifier très tôt les tâches ou les métiers qui disparaîtront au profit du numérique, et d'en anticiper les conséquences grâce à une gestion prévisionnelle adéquate ;

Faire fonctionner les outils tout en étant capable d'intervenir sur leur fonctionnement (approche inclusive) afin d'influer sur le résultat lorsqu'on le juge nécessaire. Cette dimension est cruciale, par exemple lorsque les soignants ont des doutes quant au résultat produit par l'outil ou qu'ils soupçonnent un risque pour le patient. Les formations sont ici plutôt techniques et scientifiques et nécessitent une mise à jour régulière ;

Acquérir des compétences que les outils de la e-santé pourraient reproduire mais dont le coût demeure encore prohibitif (approche hyperspécialisée). Il est ici recommandé aux professionnels de devenir experts dans des domaines de niche.

Ces différentes approches supposent un investissement massif dans le potentiel humain : c'est en cela qu'elles s'inscrivent dans la lignée de la stratégie mondiale pour la santé numérique, et c'est aussi pourquoi la prochaine stratégie nationale de santé pourrait aisément s'en inspirer.

Notes :

[1] Davenport T.H., Kiby J. (2015), Beyond Automation, Harvard Business Review, p.58-65.

 
Au sommaireN°177
Décembre 2024

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