Revue de gestion du personnel médical et hospitalier des établissements de santé

EDITO

Démission et turn-over chez les personnels soignants : dépasser les cadres d'analyse traditionnels

 

Jérôme LARTIGAU

Maître de conférences en sciences de gestion - CNAM

L'abandon des carrières de la part des personnels soignants - et particulièrement des infirmiers - dans les établissements de santé est connu depuis longtemps. L'étude la plus récente sur le sujet[1] indique que « près d'une infirmière hospitalière sur deux a quitté l'hôpital ou changé de métier après dix ans de carrière ». Ce phénomène très préoccupant limite le volume de travail disponible et par conséquent l'offre de soins infirmière dans les établissements, contribuant ainsi à renforcer la pénurie de professionnels qualifiés et la crise du système de santé. En outre, il semble s'accélérer : comme le constate la DREES, le taux de stabilité tend à diminuer dans les générations arrivées plus récemment dans la profession.

Pour essayer de comprendre et de résoudre le problème, il est habituel d'invoquer les fondamentaux de la gestion des ressources humaines. La faiblesse des rémunérations eu égard aux contraintes du métier, le manque de perspective de carrière, les conditions de vie au travail, seraient ainsi les principales causes de désaffection. Ces facteurs - que Herzberg nommait « facteurs d'insatisfaction » - sont bien sûr réels et peuvent expliquer en partie les difficultés à fidéliser le personnel. Pour autant, sont-ils les seuls et n'y aurait-il pas d'autres pistes de réflexion à ouvrir ?

Le retrait plus global observé depuis la crise Covid - connu sous l'expression « grande démission » - a probablement fait naître une approche plus individuelle pour mettre en lumière la désaffiliation des personnels, moins focalisée sur des facteurs extrinsèques mais plutôt basée sur les valeurs et représentations des individus dans une société en profonde transformation.

La crise existentielle qui semble se dessiner dans notre société va sans doute bien au-delà du contexte des établissements et du système de santé. Une crise qui, comme l'avaient déjà montré Lipovestky ou Lasch, trouve son fondement dans la postmodernité et ses conséquences : l'affirmation du moi et le développement de l'hyper-individualisme. L'individu postmoderne, dans l'affirmation de sa toute-puissance, chercherait principalement à maximiser son bien-être et l'affirmation de son moi, ce qui bien sûr ne cadre pas bien avec une démarche collective et les contraintes des métiers du soin et de la prise en charge. Bauman[2] va plus loin en développant la thèse d'une vie moderne désormais « liquide ». Dans le monde moderne liquide, le changement et l'instabilité sont de mise, l'ensemble des activités de la vie est en perpétuelle transformation. Le « syndrome consumériste », qui est le propre de la vie liquide, valorise la nouveauté et l'éphémère au détriment de la solidité et de la durabilité. Le consumérisme s'applique aussi dans les relations humaines et professionnelles : rien n'est acquis, tout peut être remis en question, chaque situation connaît une date de péremption ; la recherche de nouveauté et la stimulation du désir sont les seules règles sous le règne de la mobilité permanente et de la liquidité des rapports humains.

N'en déplaise à certains, le phénomène de retrait auquel nous assistons n'obéirait-il pas à cette logique consumériste de la nouvelle société liquide ?

Notes :

[1] Etudes et résultats - DREES, n°1277, juillet 2023

[2] Bauman, Z. (2013) La vie liquide, Pluriel.

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